LES MASQUES
Ma mémoire est intarissable Qu’une vie ne pourrait suffire A démêler l’impérissable De mes chagrins et de mes rires.
Je suis arrivée un matin Comme un aubain qu’on n’attend pas Dans cet univers incertain Peuplé de fous et de malfrats.
Dans une ville sans attrait, J’ai lutté contre tous les vents Et imploré dans le secret Quand on riait à mes dépends.
Alors, j’ai compris, sans façon, Et j’ai fardé ma belle enfance En oblitérant de mon front Le masque blanc de l’innocence.
J’ai enfermé à double tour L’âme de mes rêves d’enfant Et j’ai vécu au jour le jour Avec un loup de courtisan !
Quelques amis m’ont bien aimée, Mais, ce n’était que des passants Et je les ai vite oubliés : Ils n’avaient rien d’intéressant.
Un jour, l’amour s’est invité Et, dans mon cœur, ce fut la joie Puis, sans un mot, il m’a quittée, Il ne m’en reste rien, je crois.
J’ai bâillonné, là, mes envies Et, sur tous les chemins de France, J’ai marché sans faire de bruit Avec le masque du silence.
Ne pouvant aimer à ma guise, J’ai déguisé mes sentiments Comme on se déguise à Venise, Avec un masque grimaçant.
Personne n’a su regarder, Non, personne n’a su me voir ; Par habitude, j’ai donné, Mais sans jamais rien recevoir.
Mon passé me démoralise, Rien ne fait vibrer mon présent, Mon avenir, quoi qu’on en dise, Qui sait ce qu’il sera vraiment ?
Pourtant, j’espère au fond de moi Que, quelque part sur cette terre, Il y’a une île rien qu’à moi Où je n’aurai plus à me taire,
Où je pourrai enfin donner, Sans rien chercher à recevoir, Où quand tu dis la vérité, On ne te met pas dans le noir !
Ma mémoire est intarissable Qu’une vie ne pourrait suffire A démêler l’impérissable De mes chagrins et de mes rires…
(c) Cypora Sebagh |