Un pays sans livres, sans presse, sans Universités (et où la bicyclette même est interdite à Rangoun !), est-ce une terrible répression où on ne sait quelle sinistre préfiguration ?
Nous redoutons le pire.
Une tétrarchie acéphale, anonyme, médaillée, à lunettes noires et casquettes béantes, prive son peuple de parole, de la vue et de l’ouie. Ce peuple serait « birman », mais la Birmanie n’existe plus : le badge diplomatique affiche Myanmar. Nous parlons de Rangoun ou de Mandalay mais les généraux se sont bâtis ailleurs une cité de pouvoir, sans architectes, sans nom. Il n’y a plus que des serviteurs.
Les minces jeunes gens aux crânes nus et aux robes safran, mendiants silencieux, sans armes, sans chefs, sans visiteurs, plus prostrés que prosternés maintenant dans les temples déserts, sont repoussés, battus, assassinés par leurs demi-frères, ces soldats verts indiscernables : jeunesse d’un ancien peuple aujourd’hui divisée contre elle - même et ainsi neutralisée, comme si pour exploiter les richesses d’un pays du Tiers monde non modernisé et à mondialiser, sans transition, à déboiser et défoncer d’un coup, il fallait changer le peuple même asservi aux multinationales dont la circonférence est partout et le centre là-bas : Londres, Shanghai, New York, Paris… dans les hautes tours du contrôle total.
Et parmi tous ceux- là une femme avec un nom : Aung San Suu Kyi, avec un visage, mais comme une Jeanne sans bûcher, encagée depuis vingt ans et que le monde entier révère vainement telle une apparition, comme si la ruse des caudillos savait qu’une apparition suffit au monde télévisé.
Nous, écrivains, intellectuels, artistes, libres parleurs, exaspérants et désespérants citoyens du monde, arguons du droit de visiter nos semblables et de leur parler.
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Notre intervention ne s’adresse pas à la junte birmane qui vient de tirer sur la foule et qui réprima dans le sang les manifestations populaires de 1988 avant de s’opposer par la force à la victoire remportée aux élections de 1990 par la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) de Aung San Suu Kyi.
Nous demandons que se fasse de plus en plus pressante la protestation des instances internationales mais seules les sanctions économiques peuvent conduire la junte à renoncer à la répression et à accepter la restauration de la démocratie.
Nous demandons que toutes les mesures soient prises en ce sens, immédiatement, par le gouvernement français et que la compagnie Total, la plus grande compagnie française concernée, cesse d’exploiter, pour l’heure, le gaz de Birmanie, première ressource de la junte.
C’est à ce prix que la répression cessera, que les prisonniers seront libérés et qu’Aung San Suu Kyi jouera le rôle politique qui lui revient.
C’est à ce prix que la vie culturelle renaîtra en Birmanie.
C’est à ce prix que les enfants accèderont à l’éducation et que livres et journaux paraîtront librement.
Alors les écrivains et les artistes birmans pourront de nouveau publier, créer, voyager à leur guise.
Sachons-le, l’entretien de l’illettrisme est peut être l’arme la plus efficace de cette dictature singulière.
Ecrivains, intellectuels, artistes, libres de parole, nous vous demandons de signer et faire signer ce texte qui sera adressé au gouvernement français et diffusé dans la presse, en soutien au peuple birman.
Initiative de Michel Deguy, Pierre Lartigue et l’association Info Birmanie.
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