Fermez les yeux et regardez les rochers fendues par l’eau et le gel….le gel des relations froides entre voisins : la pierre solide sous nos pas est dévorée comme par une rouille.
C'est une rouille qui part en spirale, elle attaque un point, creuse une courbe en tunnel et ressort un peu plus loin, plus forte : elle vient de détruire un premier cercle d'amis, de dévorer une première couche de mémoire, la plus tendre, la plus proche, la plus malléable.
Alors nourrie de frais, la rouille de nos cœurs pensant relance sa danse un peu plus amplement, se renforce encore, et à chaque demi boucle atteint une nouvelle cible plus largement et plus loin, plus massivement et plus profondément.
Voilà… Dans les Balkans, elle a atteint une couche sensible, la dentine de bien des sourires comme la mémoire encore proche a mal, mais si nous, nous voisins des Balkans, nous avions eu une mémoire moins sélective, eh bien, la rouille ne serait pas venu jusqu'à faire des matches de boxes dans un ancien Camp de Concentration..
Staro Sajmište : c'est le nom de ce camp. Cherchez bien, hormis par le centre Simon Wiesenthal, il a été "oublié", sorti de notre mémoire...Et le centre Simon Wiesenthal a déjà protesté une fois en octobre 2007 quand un groupe de Rock avait choisi ce lieu pour un concert, annulé non pas par chance, mais décence, les autorités ayant promis d'en faire un lieu de mémoire...
Il y a d'autres lieux à demi-fantômes de la sorte.
Mais au nom de Menahem Taffel, un des 87 déchiquetés dans les sous-sol de l'hôpital de Strasbourg, aux salles carrelées avec rigoles inclinées, au nom de ceux qu'on a dépecé dans cet hôpital pour y inventer un musée des sous-races, en leurs noms à demi extraits de la spirale rouillée de l'oubli par G.Y. Ferdermann, tandis que la Ville Opulante renvoyait l'horreur dans les campagnes barbelées, plus loin, plus en dehors, mais pas en son sein, sinon quelle honte aujourd’hui…
Au nom de Menahem Taffel, et de tous ceux et celles qui, du Chili au Cambodge, du Goulag au KL, d'Abu Grahib sous Saddam déjà, du bagne de Raba à celui de Guyane, du Rwanda au Soudan, tous ceux et celles dont on a soigneusement effacé le nom pour les écorcher impunément parce que hors l’humanité,
Staro Sajmište
je ne t'oublierai pas
Tu es ma terre,
et tes sillons sont les rides de mes mains,
et mes épis sont le fruit des grains glanés dans tes orages,
Je vis, léger dans la nuit et le brouillard de l’hiver
silhouette que les lampes, telles que toi, font surgir du néant
grâce à toi.
Staro Sajmište
toi non plus,
ne m'oublie pas, dans la tourmente des urgences, lorsque les idéaux, les drapeaux et les principes commencent à dévêtir en mon regard des hommes et des femmes, de leur nom, de leur humanité,
Staro Sajmište
quand je suis prêt comme d'autres à fermer les yeux, et balayer de l'homme, comme on nettoie son atelier.
Hante moi et chante moi la vallée de l’entêtement à vivre digne, Staro Sajmište !
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