Chez nous, les vignes sont comme des épouses qui auraient goûté au soldat teuton, tondues, et le téton honteux, sous les rages d'autant plus haineuses qu'elles doivent détourner l'attention sur elles, les autres, à en faire oublier que les tondeuses et les tondues étaient ensemble, oublier en hurlant avec les loups…
On n'arrive pas à tourner la page des années 40-45 ? Très bien, alors, il n'y aura pas de mémoire.
La mémoire, c'est savoir dire : « bon, ok, je tourne la page ». Et la suite viendra. Et le tout fera une histoire parce que la vie jubile avec ses amants dans les marges du livre, entre la mémoire de la page tournée et l'aventure de la page blanche : c'est comme ça qu'elle, les braves gens et les moins braves en font tout un tas d'histoires.....
Mais partout, ça commémore de travers. Les pages restent collées au doigt, pourtant, pas de miel qui compte. C'est vrai que pour tourner la page, il faut accepter la colère de Pilate : « Quod scripsi scripsi ». Oui, je sais, en latin, ça en jette, hein ? Et surtout, ça fait périmé : très utile ! Ah oui, ça veut dit : « Ce que j'ai écrit, je l'ai écrit », sous-entendu,
"Non mais vous allez pas me faire refaire cent fois sa plaquette à ce nazaréen ? Quoi ? Gnagnagna pas roi des juifs… on a un comité d'experts qui pense que.. Silence !!!! Il est venu, il me l'a dit, je l'ai écrit. Circulez : on a une page de l'histoire à tourner."
Il faut tourner la page.
Certaines sont en plomb. Mais donnez-moi un levier etc etc….
Oui, tout compte fait, je suis heureux que des Germaine et des Georgette aient aimé des Helmut et des Franz, simples soldats dans la machine, qui avaient le choix entre Stalingrad, pour lui, un camp pour son père ou bien la France avec la belle Germaine ou Henriette…
La mémoire, c'est le silence de la page qu'on tourne, en se demandant comment le héros enfermé dans quatre cent kilos de béton au c--ur d'une montagne truffée de méchants va s'en sortir… Il faut mettre tout ça dans un coin de la tête et tourner la page, en oublier la moitié, ne retenir que l'essentiel, car oui, l'oubli est l'épice secrète de la mémoire…et tourner la page !
La mémoire, c'est la vague qui lèche vos pieds sur le sable et s'en va, parce que la marée a prévu la suivante, et que chaque marée est faite de mille vagues exactement, dont chacune efface les traces de l'autre, et toutes redessinent le sable.
Sinon, on ne passera jamais à autre chose.
Sous les centaines de milliers de cadavres du Colisée, les minijupes flottent au vent et prennent la pose sans souci du qu'en dirait-on si le sang puait encore ? Aux soleils des rétroviseurs des Vespas, s'ajoutent les flashs des appareils photos, le soleil n'en est pas jaloux...C'est un tout.
Il y a un condiment secret dans la sauce de la mémoire : c'est l'oubli…L'oubli des souvenirs, des héritages personnels. Il ne faut garder que l'essentiel, et avancer léger vers l'avenir.
Alors, quel est notre centre de légèreté, qui, sans amnésie, adoucira les plaies acérées par un taffetas d'oublis, déposé en rideau sur la fenêtre donnant sur la Mémoire ?
Sinon, on crèvera nous autres, faute de tourner la page, fleurs séchées dans un livre non lu. On peut aussi en ne gardant que l'essentiel, la mémoire qui lance l'histoire sans la figer, se laisser surprendre par les pages à venir. Maintenant, celui qui refuse qu'à la page 15, les Arméniens aient été génocidés, comme les juifs entre les pages 40 et 45, celui-là est à côté de l'histoire. Il a tout faux. Il ne pourra que bégayer le passé.
Dès maintenant. On tourne la page, bien en mémoire ce qui s'est passé, ? On y va !
Au printemps les vignes seront coiffées comme des jeunes mariées avec leurs fleurs blanches sur leurs cheveux à peine repoussés.  |
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