Les naufragés d’Alzheimer
J’aime ces gens étranges Aux trous dans la mémoire Des trous remplis de plaies Présentes ou bien passées Vérités toutes crues Remontant en marrée Quand les masques ont fondu Que la farce est jouée L’inconscient se lézarde La raison capitule Des blessures tenaces Font surface et bousculent L’hier est aujourd’hui Le présent n’est qu’instant De vielles photos parlent Révélateurs puissants J’aime ces gens étranges Leur raison déraisonne Ils sont les dissidents Des logiques des hommes Leur coeur ne souffre pas L’événement leur échappe Ils captent les émois L’essentiel sans flafla J’aime ces gens étranges Qui repèrent la fausseté Des gestes et des paroles Réclament l’amour vrai Carburent à la tendresse Négligent tout le reste Ils sont vérité nue Ils aiment ou ils détestent J’aime ces gens étranges A la mémoire trouée Qui échangent des bribes De leurs vies effacées Voyageur sans papier Sans qualification Ils sont ce que nous sommes Et nous leur ressemblons J’aime ces gens étranges Qui me montrent du doigt les immenses trous noirs Que j’ai au fond de moi Ils sont le grand miroir De mes désirs enfouis De ma débridence tue Et de ma fantaisie J’aime ces gens étranges Qui ont le mal d’enfance Comme le mal d’un pays Qu’ils chercheraient en silence Derrière l’apparence De leur mémoire perdue Leur corps parle une langue Que nous n’entendons plus
Marie Gendron et Julos Beaucarne |