Longtemps tu n'as su de l'hiver que ce qu'en montrait la planèze : l'air grisâtre, les couchants consternés, les avant-jours nullement de vin d'or. Sur l'âpre terre à quoi s'accole un ciel blafard, tu ne pensais pas dire un simple au revoir à la lumière, mais la perdre à jamais pour de funèbres après-soirs de frimas.
Lesq prairies devenaient proies d'atroces bises qui, les parcourant interminablement, plus aigües que crocs d'ancien loup, te transperçaient jusqu'à ce que te vinssent des larmes. Les animaux ne quittaient plus l'étable, mais leurs naseaux s'y embuaient ; le froid fumait sur tes lèvres. Pétrifiés par des mois de gelure, d'endurance et de vent, bras levés, hêtres, châtaigniers et grands chênes semblaient demander grâce : oubliés pies et nids d'avril, pelage fauve chaudes amours du lièvre. Pays bourrasques grésil grêle, pays dont les chemins, les haies, les pâturages et labours disparaissaient en quelques heures, à jamais, croyais-tu, sous la neige ensevelis ; pays de campagnards reclus dans leurs fermes des jours et des jours durant comme au cours des nombreux siècles où ils se sont nourris, eux et leurs porcs presque identiquement, surtout de glands et de châtaignes.
Pourtant, il fallait bien sortir, ne fût-ce que pour donner du foin aux bêtes, traire les vaches et se rendre à l'église pour la nuit de Noël. Le ciel, bouché de nuages oppressants, laissait soudain, parfois, un accès à la lune. La neige alors brillait immensément, les spectres étiraient leurs ombres, que le vent tordait. Tout alentour, la neige. Par instant, quelques flocons tournoyaient, scintillaient sur ta pelisse avant de s'y dissoudre. Tu croyais à un jour nouveau, un jour sans astre du jour, sans bruit autre que celui du vent, sans rien de tendre ni de vert, exorbitant, sempiternel. Mais à force de pas dont chacun t'extrayait de cette glu épaisse qui enserrait ton pied et tentait de le retenir, tu gagnais la maison bâtie de pierre dure, lauzes cachées sous le suaire de silence amoncelé.
----- Message d'origine ----- Pourquoi se méfier des nuits revêtues de longs manteaux ? Leurs étoiles ne sont que les pellicules tombées de leurs cheveux gras. Elles titubent un peu, vers la fin, au presqu’hiver. Parfois la nuit est très courte : une minijupe d’où s’échappent les jambes blanches du matin. Et du regard, on suit le mouvement laiteux de l’aurore pédalant dans un mousseline de nuages fuchsia, au presqu’été.
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