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Bernard Suisse
France
Posté le:
16/8/2003 06:22
Sujet du message:
Impertinences sur l'art et la culture
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Email:
memoires-de-siam@noos.fr
Site Internet:
http://www.memoires-de-siam.com
L'interview de Marcel Barang m'a incité à remanier une contribution que j'avais écrite voilà quelques mois sur l'état de l'art et plus généralement de la culture en Thaïlande aujourd'hui, vue par un occidental. Je la livre ici, elle repose sur ce que j'ai pu vivre, voir, entendre et lire, elle ne prétend pas contenir que des vérités, elle est volontairement un peu polémique, et ne s'offusquera pas d'être contredite ou contestée.

Le constat que fait M. Barang sur la littérature thaïlandaise pourrait s'appliquer à tous les arts, et le désert culturel, entretenu par une télévision indigente qui débite, entre de très larges tranches de publicité (on finit par ne plus savoir si c'est la publicité qui interrompt les programmes ou les programmes qui interrompent la publicité) des sitcom ineptes, des jeux et séries d'une rare niaiserie, par des variétés sirupeuses à la limite du supportable, par des magazines "people" mièvres et insipides, le désert culturel touche même beaucoup de ceux qui accèdent à des études supérieures. Le royaume somnole et baille dans une sous-culture de bazar, faite de chansonnettes gnangnan, de films aussi violents ou infantiles que mal ficelés, de feuilletons à l'eau-de-rose. Écrivains, peintres, sculpteurs, poètes, musiciens, chorégraphes, sont souvent plus connus à l'étranger que dans leur propre pays, malgré l'incontestable qualité de leurs productions. Quant à Pira Sudham, qui a été nominé au prix Nobel de littérature pour la valeur de son oeuvre, il écrit en anglais et demeure quasiment inconnu chez lui.

Si l'art reste difficile, la critique n'est pas si aisée...

L'acte créatif tel que nous le concevons aujourd'hui en Europe est affirmation de sa personnalité, et souvent contestation, transgression et remise en cause, toutes démarches qui ne sont pas particulièrement encouragées dans le système éducatif thaïlandais, et qui sont même soigneusement réprimées. L'épanouissement y est subordonné à l'intégration au groupe, et le bonheur est proportionnel à la faculté qu'on a de se couler dans un moule. Gare à qui sort du rang, à moins qu'il ne soit un jeune prodige de la finance ou de l'informatique qui édifie quelque fortune colossale ou une gamine bêlante qui fera pour un mois la une des magazines d'adolescents. Une petite touche d'éducation collective et civique serait la bienvenue dans notre système occidental, une note d'individualité, d'esprit critique, et disons, d'impertinence, ne ferait sans doute pas de mal au système thaïlandais.

Dans un pays où la parole des parents, la parole du maître, la parole du supérieur est, sinon parole d'Évangile, au moins parole de Dhammapada, où le consensus doit régner coûte que coûte, il est difficile de remettre en cause un enseignement, une morale, et même une prestation artistique, si mauvaise soit elle. Ce même constat est dressé par le chorégraphe Naraphong Charassi : "Un problème de taille dans le domaine de la danse est l'absence de critique. J'ai vécu ceci moi-même, après mon retour d'Europe où je m'étais habitué à avoir un minimum de réactions des critiques. En Thaïlande ce n'est pas le cas, sans doute à cause de l'éducation thaïlandaise. La confrontation et la critique ne sont pas bien vues. Il n'est donc pas étonnant qu'il n'y ait pas de critique d'art actuellement en Thaïlande." (Naraphong Charassi, chorégraphe - Les Carnets de la créations - Édition de l'Oeil 2002).

De l'artisan à l'artiste...

"Les beaux arts commencent à fleurir dans le royaume de Siam, et ces peuples ont un génie si particulier pour imiter parfaitement tout ce qu'ils voient, qu'il est aujourd'hui fort difficile de remarquer quelque différence entre les vrais ouvrages de la Chine, et ceux qu'ils ont voulu contrefaire..." (Nicolas Gervaise - Histoire naturelle et politique du royaume de Siam - 168Cool. Même si l'expression "beaux arts" avait un sens beaucoup plus large au XVIIe siècle qu'aujourd'hui, nombreux sont les voyageurs qui ont rapporté cette aptitude des Siamois à reproduire les ouvrages qu'ils voyaient. Au fond, le goût pour la contrefaçon a peut-être des origines plus génétiques qu'économiques...

Selon le mot de Goethe, un artiste est "un homme qui travaille avec son coeur, un intellectuel qui travaille avec son esprit, et un artisan qui travaille avec ses mains." L'artisan possède le savoir-faire et peut réaliser des merveilles, dans un cadre bien défini et selon des procédures rigoureuses. L'artiste, au sens occidental moderne, s'il doit maîtriser ce savoir-faire, doit posséder en plus l'inspiration, la faculté de s'affranchir des cadres et de créer des oeuvres originales. La plupart des artistes "officiels" thaïs me paraissent davantage des artisans que des artistes, ce qui après tout a sa noblesse. Ils possèdent les techniques de leur art à la perfection, produisent et reproduisent des oeuvres parfaites, certes, mais ils ne sortent que bien rarement des conventions, des canons et des standards. Le critique d'art Thanom Chapakdee explique cet état de fait par les carences du système éducatif : "Les écoles d'art thaïlandaises accordent une grande importance aux notions pratiques et à l'instruction technique, bases indispensables, mais inexistantes en raison de l'enseignement rudimentaire reçu au lycée. Il en résulte qu'au niveau universitaire, il n'y a pas de réel enseignement conceptuel ou dirigé vers l'analyse artistique. Ces institutions forment davantage des artisans que des artistes professionnels, et tous les artistes reconnus travaillant actuellement dans le pays ont acquis leur réelle expérience et leur motivation en voyageant à l'étranger." Nul doute que les artistes thaïs sont des hommes qui travaillent avec leur coeur, et des artisans qui travaillent avec leurs mains. Il leur manque peut-être parfois, pour être tout à fait conformes à la définition de Goethe, d'être aussi des intellectuels qui travaillent avec leur esprit. Mais comme le rappelle Marcel Barang, la chaleur et les moustiques ne prédisposent guère à l'effort intellectuel. L'ambassadeur La Loubère faisait le même constat en 1691 : "Il faut avouer pour leur excuse, que toute application d'esprit est si pénible en un climat aussi chaud que le leur, que les Européens même ne peuvent guère étudier, quelque envie qu'ils en aient." La généralisation de l'air conditionné devrait donc augmenter considérablement la vie intellectuelle thaïlandaise Smile

La fonction historique de l'art au Siam n'était pas, sauf peut-être chez les poètes, de transmettre ses sentiments, ses états d'âme, ou de proposer une critique de la société, mais d'abord et avant tout d'exalter le sentiment religieux, de célébrer le Bouddha, de relater les épisodes de la mythologie, du Ramakian, de fortifier le sentiment nationaliste en chantant les victoires et les exploits d'un roi qu'on ne représentait jamais, dont on ignorait le nom et qu'on ne nommait jamais autrement que par son titre (à ce sujet, la gravure du portrait du roi Chulalongkorn sur les pièces de monnaie au XIXe constituait sans doute une véritable révolution culturelle). Cette fonction n'était somme toute pas très différente de celle des artistes européens sous l'Ancien Régime, domestiques au service d'un prince ou d'un souverain et astreints à respecter des formes rigides et impératives. Il n'y a guère de différence entre la démarche d'un statuaire siamois sculptant des représentations du Bouddha selon les 32 critères immuables et impératifs, couleur des yeux, longueur des membres, largeurs des mains et des pieds, nombre de dents, et celle d'un compositeur de cour du XVIIe siècle produisant à longueur d'année des oratorios, des cantates, des messes ou des opéras sur des canevas préétablis en respectant les règles strictes de l'harmonie et de l'esthétique. Parfois, ici et là, la beauté d'une courbe ou le raffinement d'une phrase musicale trahissent l'artiste derrière l'artisan. Le sculpteur du Bouddha Chinarat de Phitsanulok, celui du Bouddha marchant de Sukhotaï étaient bien davantage que des artisans, ils ont édifié, au milieu du XIVe siècle, les bases même d'un art national thaïlandais. Vivaldi, malgré sa colossale production, était bien plus qu'un tâcheron de la musique, et il a posé les bases du concerto moderne. Mais aujourd'hui ? l'ordinateur "compose" et l'on ne sculpte plus les bouddhas. Ils sont en résine synthétique et sortent tous du même moule.

Les bouleversements politiques, sociaux et économiques, le déclin de l'aristocratie et l'avènement de la bourgeoisie ont généré en Europe dès le XVIIIe siècle une nouvelle sorte d'artistes, indépendants, individualistes, souvent critiques voire contestataires, témoins de leur temps et novateurs. Peintres fous ou poètes maudits sont aujourd'hui reconnus comme des valeurs essentielles de notre patrimoine culturel. La Thaïlande n'a pas connu ce phénomène, et les personnalité comme Sunthon Phu, ivrogne et séducteur, sorte de Verlaine siamois (les goûts sexuels à part !) demeurent exceptionnelles. Aujourd'hui, un auteur sulfureux tel que Saneh Sangsuk, dont Marcel Barang a fait connaître en France le livre "L'ombre blanche", demeure inconnu dans son pays. Et serait-il lu, il ne serait sans doute guère apprécié. La marginalité, la critique sociale, un déballage impudique et cru de sentiments et de situations qui confine à l'exhibitionnisme, tout cela est d'emblée profondément choquant pour les bonnes moeurs thaïlandaises.

Les beaux arts, outre le sponsoring de grands groupes industriels ou commerciaux, sont encore largement associés à la famille royale, qui se révèle une des principales entreprises de mécénat du royaume. Peu ou pas d'entreprise culturelle de prestige qui ne soit placée sous le royal patronage. Ceci a sans doute ses aspects positifs, la préservation du patrimoine, les commandes officielles qui font vivre les artistes officiels, mais également bien des aspects négatifs, dont le soutien exclusif aux seules oeuvres politiquement, socialement et moralement correctes, et l'impossibilité, là moins qu'ailleurs encore, d'émettre la moindre critique objective à propos d'oeuvres placée sous la protection royale. Dire que le film Suriyothai, sans être un ratage complet, ne restera pas, loin s'en faut, comme un chef-d'oeuvre dans l'histoire du 7eme art (je n'ai pas vu la version remaniée par Coppola) demande une certaine dose de courage. Quant à la production musicale du roi, aucun musicologue ou critique musical thaïlandais ne s'aviserait même de donner un avis sur sa valeur réelle.

เหยียบเรือสองแคม, ou le cul entre deux chaises...

La plupart des artistes et des intellectuels thaïlandais vivent, pensent et créent dans un profond malaise. Ils subissent, qu'ils le veuillent ou non, la fascination de l'Occident, ils y puisent souvent leur inspiration, beaucoup ont accompli leurs études supérieures aux États-Unis, en France, en Allemagne, en Suisse ou en Angleterre, beaucoup vivent bien davantage de la vente de leurs oeuvres à l'étranger que des recettes recueillies dans leur propre pays, mais d'autre part ils rejettent cet Occident et ressentent comme une humiliation leur sujétion économique et culturelle à des pays plus riches, la perte lente mais inexorable de leurs valeurs et de leur identité. เป็นประชารัฐ ไผทของไทยทุกส่วน - mais Mc Donald, Kentucky Fried Chicken et Pizza Hut gagnent sans cesse du terrain - Bien de ces "hommes libres" qui n'ont jamais été colonisés par le passé se sentent aujourd'hui profondément blessés d'être considérés dans le monde comme les habitants d'un pays un peu sous-développé, envahi de touristes, à la traîne de l'Occident et le bordel de l'Asie. Le poète Phaiton écrivait :

"Pays du sourire, ventres creux et âmes envolées, fin du sourire au pays
Au Siam, pays excitant, femmes séduites devenant mère, excitant ! le Siam !
Méprisé le Siam partout dans le monde pour ses histoire de sexe, partout méprisé
Le sourire de Siam est plus que difficile à rétablir, Siam pays du sourire !"

Révolte ou résignation, on retrouve ces thèmes récurrents dans les oeuvres des peintres comme Chatchai Puipia, Vasan Sittikhet, Nawin Biadklang et bien d'autres, dans beaucoup de chansons de Carabao, dans les textes de Pira Sudham, et toujours dans les poèmes de Phaiton :

"On voit des proies partout, prêtes à devenir proies
Le pays thaï de toutes parts, est plein de jeunes Thaïes
Des proies savoureuses parfumées, sucrées, bonnes à croquer
Incitées à prendre un chemin dont elles ne connaissent pas l'issue
La publicité nous incite tant à croire qu'on ne voit plus les raisons de ne pas croire
L'argent investi massivement donne des petits, repousse !
Qui donc connaît les ruses de ceux qui sont cent mille fois plus malins ?
Personne ne pense au mal qui peut être fait à autrui
Richesse, l'obsession est de devenir riche !
La morale se perd sans que personne ose le reconnaître
Les proies de l'époque, qui se dit avancée !
Passent de vie à trépas alors qu'elles respirent encore
Parce qu'elles sont aveugles mentalement !"

(J'ai reproduit ici les traductions de Maurice Coyaud dans "Poésie thaï" aux éditions P.A.F.)

Le choc des cultures n'est pas un vain mot et l'artiste thaï évolue sur une étroite passerelle entre deux abîmes, la fascination de l'Occident, mais c'est le risque de perdre son âme, et le respect des traditions, mais c'est le risque de végéter dans une impasse. Je cite à nouveau le critique Thanom Chapakdee : "Les artistes thaïs vivent dans deux mondes, l'un en Thaïlande et l'autre, le vrai dans l'arène internationale. Mais ils me disent : "je hais les idéaux occidentaux", je ne sais pas pourquoi. Lorsque je leur demande ce qu'est l'identité thaïe, ils ne peuvent me répondre et peuvent juste se mettre en colère après moi pour être trop occidental. Ils veulent séparer la Thaïlande de l'Occident, mais parlent toujours de mondialisation". Certains prennent résolument des options extrêmes. On pourra lire en illustration la profession de foi, un peu excessivement antimondialiste, du peintre Kade Javanalikikorn (qui a fait une partie de ses études aux USA) : "I do not see the importance of acknowledging all the news out there which have nothing to do with me". La grenouille dans la noix de coco ne pense pas autrement. Le texte complet se trouve à :

http://www.rama9art.org/kade/index.html

Pour se faire une idée de la richesse, des interrogations et des déchirements des plasticiens thaïlandais, il faut consulter le site

http://www.rama9art.org/artisan/male/male.html :

qui recense de très nombreux artistes du royaume, depuis les plus officiels jusqu'aux plus résolument novateurs. Je regrette que Chatchai Puipia n'y figure pas. En ce qui concerne Vasan Sitthiket, l'un des plus militants, volontiers provocateur, on pourra également visiter la page :

http://www.thavibu.com/thailand/vasan_sitthiket/THA600.htm

On retrouve dans les oeuvres et dans les commentaires de ces artistes parfois fort jeunes, à côté des doutes, des angoisses et des interrogations, d'authentiques et d'immenses talents.

Et la musique ?

Bien oublié en France, le compositeur Eugène Grassi. Né à Bangkok en 1887, il fera ses études musicales à Paris et sera notamment élève de Vincent d'Indy. On lui doit entre autres les "Trois poèmes bouddhiques" et "5 mélodies siamoises", à ma connaissance jamais enregistrés. Il mourut à Paris en 1941.

La musique "classique" thaïe n'est guère plus connue par le grand public que la littérature ou la peinture. Réservée jadis au seul usage de la Cour, elle s'est occidentalisée depuis les années 1930, puis largement sous l'influence du roi Bhumipol. Le site

http://leroimusicien.net/index.htm

donne un aperçu des activités musicales du souverain.

On citera le compositeur Prasidh Silapabanleng, récemment disparu, auteur d'une Suite siamoise et du poème symphonique Tiang Sian, peut-être encore disponible en Cd chez Black Box Music, Peter Feit, de père allemand et de mère siamoise, de son nom thaï Phra Chenduriyang, compositeur de l'hymne national et à l'origine du premier orchestre classique au Siam. Rappelons pour l'anecdote que Phra Chenduriyang fut l'auteur malheureux du premier opéra thaï, opéra jamais représenté car le théâtre brûla lors de l'invasion japonaise dans les années 1940. On évoquera la création du Bangkok Symphony Orchestra en 1982 et, à défaut d'une salle, la création toute récente d'une fondation pour l'opéra.

La vie musicale classique en Thaïlande semble aujourd'hui entre les mains d'un seul homme, Somtow Sutcharitkul, compositeur officiel, chef attitré du Bangkok Symphony Orchestra, président de la Bangkok Opera Foundation, auteur de romans fantastiques et de science-fiction, réalisateur de films d'épouvante qu'on qualifierait en France de gothiques ou punks, et accessoirement arrière petit-neveu de la reine Indrasakdisachi, épouse du roi Rama VI, ce qui ne peut nuire dans une carrière thaïlandaise. L'homme possède apparemment un ego surdimentionné et un rare sens du commerce. On pourra, commander tous ses enregistrements, ses livres, ses vidéos, on pourra lire sa lettre d'information pour se tenir informé de ses plus récentes productions, on pourra consulter ses interviews, on pourra même se procurer des tee-shirts à son effigie sur son site Internet :

http://www.somtow.com/

Il revient à Somtow, après les déboires de Phra Chenduriyang, d'avoir été le premier Thaï à composer un opéra représenté, il s'agissait de "Madana", dont la première eut lieu le 16 février 2001 à Bangkok. Un second opéra du même auteur "Mae Naak" fut représenté le 6 janvier 2003. On regrettera que ces oeuvres, présentées comme des oeuvres nationales, soient composées sur des livrets anglais. Mais après tout, Mozart lui-même a eu bien du mal à imposer l'allemand pour ses opéras dans son propre pays. En outre, les interprètes étant des cantatrices et des chanteurs anglophones, il leur aurait été sans doute fort difficile d'assimiler un livret en thaï. J'ignore s'il existe une école de chant classique en Thaïlande, mais il serait passionnant d'étudier les rapports entre la langue thaïe et le placement de la voix, et les problèmes particuliers qui se posent pour adapter au chant classique occidental ces voix généralement placées très en arrière. Mais ceci ne doit pas être insurmontable, et la cantatrice chinoise Man Hua Gao a interprété naguère une Madame Butterfly tout à fait honorable.

Je m'en voudrais de passer sous silence celle qui sera peut-être demain une grande virtuose du piano, même si elle semble attirée davantage aujourd'hui par le cinéma que par la musique : Khun Ploypailin Jansen, petite fille du couple royal, chanteuse, actrice, pianiste prometteuse, et adorable minois. J'ai eu l'occasion de suivre à la télévision le concert donné en juillet 2002 au Sydney Royal Opera House à l'occasion du 50eme anniversaire du mariage royal. Khun Ploypailin Jensen, bien droite sur sa banquette, interpréta à cette occasion la Rhapsody in blue de Gershwin, fort proprement, même si une main charitable avait très légèrement allégé certaines difficultés de cette partition, au demeurant assez redoutable. De style et de forme libres, la rhapsodie s'apparente assez à l'improvisation ou à la fantaisie, et si je puis me permettre de faire une infime critique à l'interprète, son jeu manquait peut-être un peu de, justement, fantaisie. Mais je conçois qu'il doit être bien difficile à une princesse thaïlandaise de donner libre cours à ses sentiments en public. Au demeurant, elle est tout à fait charmante, et c'est sans réserve que je me suis inscrit à son fan-club :

http://www.khunploypailin.20fr.com/

Soyons sérieux, et soyons honnêtes, ces manifestations culturelles, concerts, expositions, représentations théâtrales, toujours tristement conventionnelles et guindées, ne concernent qu'une infime minorité de gens. Parmi les spectateurs qui assistent à un opéra, on peut se demander combien viennent vraiment pour écouter un opéra, et combien ne s'y rendent que pour s'y faire voir ou pour respecter une obligation protocolaire.

Une petite mention pour le groupe Fong Nam, à mon sens un des ensembles thaïlandais les plus créatifs et les plus intéressants, qui réussit fort bien la difficile intégration d'éléments occidentaux à une musique aux racines très authentiques, jouée sur instruments traditionnels. Les disques de Fong Nam et la documentation des livrets constitue une excellente initiation pour ceux qui s'intéressent à l'organologie et à l'ethnomusicologie.

No futur ?

La vie culturelle française n'est guère brillante depuis quelques années (mais c'est un constat, il est vrai, que mon père faisait déjà voilà 40 ans). Elle reste encore étincelante par rapport à la vie culturelle thaïlandaise. Si la culture thaïlandaise est profondément malade, c'est sans doute que le système éducatif est largement défaillant et inadapté, que les pouvoirs publics sont complètement déficients en ce domaine, que le pouvoir politique n'a guère intérêt à promouvoir une culture qui pourrait le remettre en cause. C'est certainement aussi que la culture reflète les désarrois d'artistes qui se cherchent, et au-delà, de tout un peuple en mutation qui se perd et qui renie ses valeurs traditionnelles pour les remplacer par des mirages, des illusions. Les valeurs du bouddhisme et l'héritage des siècles passés ne devraient pas être ressassés ou sempiternellement regrettés, ils devraient au contraire pouvoir servir de ciment pour édifier un nouvel art national.

Beaucoup d'artistes sombrent dans le désespoir du "no-futur", comme Visan Sitthiket qui écrit : "The world existed 100,000 million years before human beings were around but the technological revolution brought us to electricity and machinery to make things comfortable and convenient. These days we have all lost and forgotten the inventor's purpose, because all technologies and technicians are under, and a tool of, capital. Capital is madly killing mother earth and human beings, cruelly and in cold blood. Politicians are stupid and dirty, bureaucrats bad and disgusting, monks betray the Dhamma and their doctrine, screwing women followers. Girls sell their breasts and sex organs, children are addicted to drugs and lost in carnal desires etc. This world has no future, for sure."

Finalement, ce tableau n'est pas propre à la Thaïlande, et notre vieille Europe pourrait largement s'y reconnaître...

Nous avons aussi notre rôle à jouer, et sans renoncer à notre identité, nous pouvons au moins essayer, si nous aimons ce pays, et pour ma part, je l'aime passionnément, de poser notre petite pierre pour réconcilier les intellectuels, les artistes, et bien des gens de Thaïlande avec l'Occident. Pour cela, nous il nous suffirait de faire une partie du chemin et de montrer que nous nous intéressons aux traditions, à la culture, à la religion, que nous sommes des gens curieux, attentifs et respectueux, que nous venons davantage pour apprendre que pour donner des leçons, qu'après tout, nos problèmes, nos doutes et nos espoirs ne diffèrent guère, et que nous ne nous rendons pas simplement au pays du sourire pour consommer du sable fin, du soleil, des prestations bons marchés, ou pire encore de la chair fraîche. Lorsque les touristes vont à Paris, à Florence, à Barcelone, à Prague, ils visitent Notre-Dame, le musée du Louvre, la chapelle Médicis, le palais Vecchio, le Prado, le pont Charles ou le vieux quartier juif. Trop de touristes qui débarquent à Bangkok se précipitent davantage vers Pat-Pong ou Kaosan Road que vers le Musée national ou le Wat Phra Keo, avant de prendre la direction de Pattaya, de Ko-Samui ou de Phuket où ils termineront leurs vacances.

Les thaïs sont des gens réservés. Ils ne nous sauteront pas au cou. Mais si, les premiers, nous leur tendons la main, ils ne la refuseront jamais.

Bien amicalement
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Bernard Suisse
 

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